HISTOIRE DU PUY-BLAIN
Le logis du Puy-Blain en bocage bressuirais
En cœur du bocage, à environ 3 kilomètres au sud-ouest de Bressuire sur la route de Clazay [1], se détache la silhouette familière du Puy-Blain qui, depuis plus de cinq cents ans, fait partie intégrante de l’histoire locale. Toujours debout malgré les aléas du temps et de l’histoire, c’est l’un des plus beaux témoignages de ces logis d’habitations, caractéristiques du paysage bressuirais, érigés dans la région au cours des XVe et XVIe siècles, tels le Puy-Fort, le Puy-au-Maître ou le Puy-Gaillard.
Logis de plaisance, ces “puys” ont tous été élevés sur un petit promontoire dominant la vallée du Dolo ou surplombant les ruisseaux qui s’y jettent. Bien qu’ils n’aient sans doute jamais eu réellement de caractère défensif, ces manoirs étaient entourés à l’origine d’une enceinte autour de laquelle s’articulaient les bâtiments de la métairie.
Comme la plupart d’entre eux, le Puy-Blain, manoir de plaisance élevé dans l’enceinte d’une maison forte plus ancienne, a été transformé en exploitation agricole au début du XIXe siècle. Inhabité depuis la fin des années 1970, il fait désormais l’objet de travaux de restauration.
Classé “zone archéologique” en 1976 [2], il s’est vu délivrer le label de la Fondation du patrimoine le 26 février 2009. L’ensemble des bâtiments et le terrain de l’ancien jardin attenant ont été inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques le 30 septembre 2009 [3].
Le Puy-Blain sert de cadre au roman La caste de Georges Bordonove[4], qui l’évoque à plusieurs reprises dans trois autres œuvres, Les armes à la main, Chien de feu et Les tentations. Il y est appelé “Puy-Chablun” et est la demeure de Joachim de Chablun et de ses ancêtres.
I. Histoire
Le Puy-Blain, arrière-fief de Bressuire, dépendait de la châtellenie de Pugny (près de Moncoutant) et appartenait à la fin du XIVe siècle à Jean de la Coussaie l’aîné [5]. Jean des Loges en fait aveu en 1442. Au XVIe siècle, il appartient à Perrine Le Blanc [6], de Saint-Porchaire, qui l’apporte en dot lors de son mariage avec Hilaire Goguet [7], avocat de Fontenay-le-Comte, ami de Rabelais [8] et arrière-arrière-grand-père de Scarron.
À la fin du XVIIe siècle, un nouveau logis est élevé à l’aplomb d’une tour plus ancienne et sur une construction plus ancienne (au nord). C’est un des rares manoirs du bocage dont on peut dater la construction. En effet, sur un claveau d’un arc du vestibule est inscrite la date de 1589 (que l’on peut lire aussi 1586). Cette date est corroborée par un aveu rendu par Jean Tondreau [9] le 25 août 1602, qui signale : « un hôtel nouvellement basty »[10]. En 1625, sa veuve fait la mention dans un autre aveu « d’un hôtel et édifice construit et bâti de nouveau, garni de trois tours, d’un portail, de cour, allées et jardins pour le maître et d’un autre logis et fournil pour le métayer… »
Les Tondreau, officiers de la baronnerie de Bressuire, conserveront le Puy-Blain jusqu’au XVIIIe siècle, puis il passera à la famille Garnier de Breuil.
Enfin, au moment de la Révolution, il appartient à Étienne-François Le Vaillant de Guélis, fils de Marguerite Garnier des Prises. Officier au régiment de Provence, il est qualifié de « chevalier, seigneur de la baronnie de Puybelin » lors de la convocation aux États-généraux en 1789. Avec son jeune frère, Jean-Joseph-Philippe, ils s'engagent dans les armées vendéennes et sont tués respectivement à 24 ans au siège de Cholet en 1795 et à 23 ans lors de l'attaque de Mortagne en 1796.
La tradition locale rapporte que la partie nord du logis fut incendiée au moment des guerres de Vendée. De fait, des traces d’incendie subsistent sur certaines poutres et des murs des combles et la charpente de cette partie –plus basse– est postérieure à l’ancien régime.
Les terres et les bâtiments seront achetés, au début du XIXe siècle, par Nicolas Branger, notaire à Bressuire, qui le transmettra à sa petite-fille et à son mari, Félix Pihoué, maire de Bressuire de 1838 à 1842. Il passera ensuite par succession aux propriétaires actuels, d’une famille possessionnée à Terves depuis le début du XVIIIe siècle, notamment au moulin de Moriette à 300 m en contrebas du Puy-Blain sur la rive opposée du Dolo.
> Les familles qui se sont succédé au Puy-Blain.
II. Description
Le Puy-Blain est ordonné selon un plan rectangulaire autour d’une cour bordée d’un mur d’enceinte au sud et à l’est. Les bâtiments sont construits en moellons de pierres de schistes ou de grés, les encadrements et les chainages d'angles sont en pierres de taille de granit. Le logis, construit dans le dernier tiers du XVIe siècle et flanqué d’une tour ronde, occupe le côté ouest. Elle est percée d’éléments défensifs (meurtrières, canonnières). La tour est prolongée par le mur d’enceinte –clos jusqu’au début du XIXe siècle– auquel ont été accolées ultérieurement des dépendances. Une des deux autres tours mentionnées en 1625, pourrait être le bastion en pointe de flèche à toit polygonal, à gauche de l’entrée et abritant un oratoire et un ancien chenil. La cour comporte un puits.
L’entrée se fait au sud par une porte charretière en plein cintre, surmonté d’un crénelage décoratif, accostée à gauche d’une porte piétonne récemment dégagée. L’allée qui s’ouvre en face a été créée lors du percement en 1836 de la nouvelle route de Bressuire à Fontenay-le-Comte. Auparavant l’accès se faisait en passant par le bourg du Vautour de l’autre côté du Dolo.
L’ancien logis
La cour est bordée au nord d’un ancien logis d’habitation XIVe ?) antérieur à la construction du logis actuel. Il occupe le tiers ouest d’un long bâtiment devenu à usage agricole, qui se poursuit par une grange puis une étable ajoutée peut-être au XVIIIe siècle. Le portail de la grange, agrandi vraisemblablement au XIXe siècle pour le passage des machines agricole, a conservé ses montants de granit. C’est aussi le cas d’une ancienne porte, à sa droite, aujourd’hui comblée.
Cet ancien logis était très probablement relié au nouveau logis, comme l’attestent les arrachements visibles sur le pignon nord du nouveau logis. La présence d’un corbeau sur le mur sud de l’ancien logis et une ancienne porte transformée en fenètre sur le pignon nord du logis actuel, laissent à penser qu’un passage avait été aménagé, reliant ainsi la cour au jardin.
Il se prolongeait aussi vers l’ouest, vraisemblablement en L, comme l’indique à la fois la présence d’une porte ouvrant actuellement sur le vide au premier et une petite ouverture, comblée, dans l’actuel contrefort nord.
La façade sur la cour est percée de deux portes (dont une élargie au XIXe siècle) et de trois petites ouvertures au rez-de-chaussée, surmontées d’un arc segment, et d’une ouverture au premier. La façade orientée à l’ouest comporte deux portes en plein cintre au rez-de-chaussée et une porte au premier. Toutes les trois, présentant les caractéristiques de portes intérieures, ont été comblées. Cette façade est flanquée de deux contreforts. Enfin, le bâtiment comporte au rez-de-chaussée deux baies hautes jumelles ayant conservé leurs grilles en trous renflées d'origines et les gonds des volets intérieurs en bois, ainsi qu’une porte, et des baies au premier niveau, côté nord. Les ouvertures sont composées d'un linteau monolithe chanfreiné et de jambages avec un chaînage d'angle harpé eux aussi chanfreinés.
L’intérieur se compose de quatre pièces carrées, deux par niveaux, de 38 m2 à l’ouest et de 26 m2 à l’est, reliées entre elles uniquement par une ouverture, légèrement ouvragée, au premier étage. Celles du pignon ouest comportent chacune une cheminée de pierres, rustique et imposante (avec des ouvertures d’un four à pain à deux foyers) au rez-de-chaussée, d’une modénature plus fine et plus décorative au premier. Ces cheminées ne semblent pas être postérieures au XVe siècle. Les rares restes du plancher sont composés de petites lattes de bois liées entre elles avec du torchis.
Ce bâtiment ne comporte pas d’escalier. Il était vraisemblablement dans la partie disparue, peut-être de l’angle interne du bâtiment en retour, car la porte existante semble anormalement haute.
Le logis de la fin du XVIe siècle
La façade orientée à l’est, sur la cour, est ordonnée à trois travées. Elle est percée, au rez-de-chaussée et au premier étage de fenêtres à croisées ou à meneaux correspondant à chacune des pièces réparties de part et d’autre de l’escalier central, ainsi qu’au palier du premier étage. L’étage de combles est éclairé de lucarnes à linteaux droits surmontés de frontons triangulaires. L’entrée, à laquelle on accède par cinq marches, a fait l’objet d’un soin tout particulier. La porte, en plein cintre, est flanquée de pilastres. Elle est surmontée d’un haut fronton, percé d’un œil-de-bœuf bordé d’oves, composé de deux accolades garnies de pots à feu et d’un fronton triangulaire. L'ensemble des fenêtres présente des moulures en cavet et des allèges moulurées et saillantes.
La tour est percée au sud-est de trois fenêtres, l’une à meneau (au premier étage) et les autres en plein cintre, ainsi que de quatre canonnières. La porte d’entrée de la tour sur la cour, en plein cintre, a retrouvé son aspect d’origine.
La façade ouest, plus sobre, présente trois fenêtres à meneau transversal, une fenêtre horizontale à meneau vertical, cinq petites fenêtres, trois petits soupiraux avec leur grille d’origine, dont deux donnant dans la cave, et une archère à ébrasement.
Le pignon nord, plus ancien, conserve la trace d’une petite fenêtre dans l’angle ouest, au premier, qui ne correspond pas à l’élévation actuelle. Cet angle est flanqué d’un contrefort perpendiculaire surmonté, au sud, d’un reste d’entourage de fenêtre ouvragé. Il comporte aussi une porte, bouchée, au niveau des anciennes cuisines et un arrachement en forme de toit à deux versants dont la pointe est décalée vers l’est à mi-hauteur environ. Cela semble confirmer qu’un bâtiment, s’avançant sur le jardin, couvrait l’espace entre les deux logis comme cela figure sur le cadastre du début du XIXe siècle. Une porte en plein cintre donnant dans la cave s’ouvre à droite de l’ancien four à pain, circulaire et situé en hauteur au niveau des anciennes cuisines.
L’étage de combles comporte aussi une petite fenêtre ouverte au sud. La toiture à longs pans est de tuiles creuses.
L’intérieur est composé d’une cave voûtée, d’un rez-de-chaussée, d’un étage et d’un étage de combles. La cave, voûtée en berceau, n’occupe qu’une partie de la superficie de la maison, dans l’angle nord-est, et est ouverte sur le jardin par deux soupiraux et une ouverture sur le pignon nord. On y descend par un escalier droit de douze marches donnant sur un petit palier éclairé par une ouverture carrée, puis par trois marches perpendiculaires.
De l’entrée on accède à un “vestibule” voûté en berceau. Sur la clef de l’arc, perpendiculaire à la porte d’entrée, soutenant le palier du premier étage figure en relief un blason entouré d’une cordelière contenant deux blasons accolés, avec une tête de serpent en pointe : celui de droite contient les armes des barons de Blain [11] et celui de gauche la date 1589. De ce vestibule part l’escalier intérieur, tournant à retour sans jour, à trois volés soutenu par des arcs en plein cintre qui retombent sur des culots en forme d’écus. Les deux premières volées, séparées par un repos, sont droites et la troisième est à moitié-tournante. Au-dessus de cette moitié-tournante, le parement du mur est en bouzi, matériau de la région, mélange de sable humide et de bois.
La distribution intérieure s’articule autour de l’escalier de part et d’autre duquel sont réparties, au rez-de-chaussée et au premier étage, deux grandes pièces d’environ 49 m2 au sud et 39 m2 au nord. La grande pièce, en entrant à gauche, a conservé sa cheminée de granit à piédroits en console. La pièce probablement réservée aux cuisines, à droite, comporte cinq niches et la cheminée, qui n’est plus dans son état d’origine, ouvrait sur un four à pain. Ce four, plus récent, adossé au pignon nord, a retrouvé son aspect extérieur d’origine, avec une porte ouvrant sur une petite réserve circulaire.
Au premier étage, la grande salle à droite a conservé sa cheminée monumentale à piédroits en console. Les solives du plafond à la française reposent sur des corbeaux.
En montant vers les combles, on trouve une petite pièce, dite “chambre du garde” s’ouvre au niveau de la septième marche. Dans les combles une autre petite pièce en “L” a été aménagée au-dessus de l’escalier. Les combles de gauche ont conservé leur charpente d’origine à clefs pendantes.
Chacune des grandes pièces de gauche ouvre sur une petite pièce de la tour (environ 10,50 m2) équipée de deux meurtrières à ébrasement intérieur. Au rez-de-chaussée et au premier étage de la tour ont été aménagées les latrines dans l’épaisseur des murs. À l’étage des combles, se trouve le pigeonnier, de plan carré, qui a conservé ses quatre-vingt-dix boulins.
Parc et jardin
Le jardin du Puy-Blain est en cours de reconstitution. Il comprend quatre carrés de 100 m2 avec des buis aux angles, dans le prolongement de l'ancien logis. Le verger mentionné dans les anciens aveu a été replanté au sud. Dans la prairie du jouxte l'ancien logis, un parc est en cours d'aménagement.
Bibliographie
Jean-Patrick Jolly. Ballade en photos en cœur du bocage. Bressuire, l’auteur, 2002 ; p. 56.
Jean-Patrick Jolly. Bressuire, un territoire en harmonie. Bressuire, l’auteur, 2009 ; p. 60.
Nelly Pavesi. Le Puy-Belin. [Mémoire de DEUG d’histoire de l’art]. Tours, Université François-Rabelais, mai 1995.
Maurice Poignat. Le pays du bocage. Niort, éditions du terroir, 1981 ; pp. 74 sq.
Chanoine H. Verger. Terves. Huit siècles d’histoire. Poitiers, 1971 ; pp. 39 sq.
Châteaux, manoirs et logis. Les Deux-Sèvres. Niort, Association Promotion Patrimoine, 1991 ; p. 51.
Regard sur Bressuire et son canton. Catalogue d’exposition de l’inventaire général. Bressuire, Musée de Bressuire, 1992 ; p. 87.
[1] D 938 ter.
[2] Décret n° 76-276 du 19 mars 1976.
[3] JORF n° 84 du 10 avril 2010 ; texte 34.
[4] G. Bordonove (1920-2007) fut secrétaire général de la sous-préfecture de Bressuire après la Seconde guerre mondiale. C’est lors de ses promenades aux allentours, qu’il découvre le Puy-Blain autour duquel il bâti son premier roman : « J'ai décrit les hobereaux vendéens, tenté de traduire l'atmosphère de ce pays singulier » (lettre à Montherlant). Il execute plusieurs dessins du logis, dont l’un illustrera son Histoire du Poitou publiée en 1973.
[5] Qui en fait aveu, ainsi que du Petit-Puy, en 1383.
[6] Fille de Jean Le Blanc, sieur de la Caduère, cité en 1506, et « d’une famille de riches marchands de Bressuire » (H. Clouzot. « Un ami de Rabelais inconnu. Hilaire » in Revue des études rabelaisiennes… 1905 ; tome III, pp. 65-71).
[7] D’une famille de notables de Fontenay-le-Comte depuis le XIIIe siècle, fils de Jean II, marchand drapier, le sieur de Puyletard, paroisse de Nieuil-sur-l’Autise (décédé en 1565), était licencié ès lois et sénéchal de Talmond. Il eut deux fils, l’aîné Hilaire, écuyer, seigneur de Lavau et de la Touche-Gorgeau, était maire de Fontenay-le-Comte lorsque la ville fut prise par le roi de Navarre en 1587 ; le second, Christophe, écuyer, seigneur de la Richardière et de Nouhette était sénéchal de Busseau.
[8] Qui lui dédie, ainsi qu’à Geoffroy d’Estissac et à André Tiraqueau, le premier texte qu’il édite, les Epistolarum medicinalium… de Giovani Manardi, imprimés en 1532 à Lyon par Sébastien Gryphe.
[9] Seigneur de la Martaugère (décédé avant 1625).
[10] Archives départementales des Deux-Sèvres, E 1584. Chartrier de Saint-Loup.
[11] Croix potencée accompagnée de 3 croissants posés deux et un, au chef chargé de 3 étoiles.